18 Mai 2023
A la suite de la publication du rapport du COI1 et de l’annonce par le gouvernement d’un plan de 100 Md€ en faveur du ferroviaire, le CESER de Normandie formule des propositions relatives aux priorités régionales d’investissement dans ce domaine.
Alors que les transports demeurent le premier secteur émetteur de CO2 en France (avec 31 % des émissions en 2019), le CESER rappelle en premier lieu la nécessité d’un report modal vers les modes collectifs, actifs et partagés (ainsi que vers le ferroviaire et le fluvial s’agissant du fret), afin de contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique. Réduire la part des déplacements en voiture individuelle suppose ainsi de renforcer les transports collectifs, et le train en particulier, pour en faire de véritables alternatives en tant que mode de déplacement du quotidien.
Le renforcement et le développement du transport ferroviaire supposent des investissements, justifiés par la transition climatique, mais aussi par la situation de sous-investissement dont a longtemps pâti la Normandie, où les temps de parcours se sont dégradés au niveau de l’accès à l’Ile-de-France, et où différentes lignes ne sont pas électrifiées alors que la région est fortement productrice et exportatrice d’électricité décarbonée.
Le CESER, s’appuyant sur ses précédents travaux3 et sur ceux de la FNAUT , formule dans la présente note plusieurs propositions prioritaires pour améliorer et développer le transport ferroviaire régional :
- réalisation des deux premières phases de la LNPN,
- développement des dessertes périurbaines via les RER métropolitains pour les agglomérations de Rouen, de Caen et du Havre,
- équilibre des territoires via l’amélioration des dessertes et les réouvertures de lignes,
- programme d’électrification du réseau,
- développement du fret ferroviaire.
Le CESER rappelle, par ailleurs, la nécessité du maintien de la présence humaine dans les gares et dans les trains, de la mise en œuvre du cadencement, ainsi que le besoin de lisibilité et d’attractivité financière des tarifications, afin de favoriser l’usage du train auprès du plus grand nombre (jeunes, familles, travailleurs…).
La saturation des accès à l’Ile-de-France, notamment pour les lignes Paris-Rouen-Le Havre et Paris-Caen-Cherbourg, génère des difficultés de circulation entre trains franciliens et normands, et ne permet donc pas de développer l’offre, tant voyageurs que fret. La réalisation de la section Paris-Mantes de la LNPN doit ainsi permettre de supprimer les goulets d’étranglement existants, notamment la section à 2 voies entre Vernouillet et Poissy.
La réalisation d’EOLE, contrairement à ce qui est trop souvent affirmé, ne réglera pas, à terme, la problématique de la saturation de la section Paris-Mantes. Seul un tronçon de ligne nouvelle, « shuntant » les zones critiques, sera susceptible de régler durablement les contraintes de cette section, profitant autant aux Franciliens qu’aux Normands et garantissant, pour ces derniers, l’accès à la gare de Paris Saint-Lazare. La gare de Rouen rive droite « encastrée » dans une tranchée et encadrée par 2 tunnels est également saturée, et ne permet ni d’augmenter l’offre régionale ni de développer un service express métropolitain.
La réalisation de la section Rouen-Barentin et de la nouvelle gare de Rouen Saint-Sever doit ainsi permettre de développer les dessertes périurbaines et régionales mais aussi les liaisons vers l’Ile-de-France. Il importe que la réalisation des deux phases prioritaires soit effective à l’horizon 2035, afin d’augmenter la capacité des lignes, pouvant également bénéficier au fret ferroviaire depuis les ports du Havre et de Rouen.
Au préalable, la réalisation d’un « saut de mouton » consistant à séparer les trains normands et franciliens en avant gare Saint-Lazare, afin d’éviter les croisements qui perturbent le trafic, est indispensable à l’amélioration de la fiabilité et de la régularité des circulations, avec une réalisation prévue à l’horizon 2030.
Par ailleurs, l’accès à l’Ile-de-France de la ligne Granville-Paris, via la gare Montparnasse, appelle également à être renforcé, compte tenu des besoins de déplacements des Normands vers la capitale, et plus largement des populations contraintes à s’excentrer de l’Ile-de-France vers la grande couronne en raison du coût du logement (axe L’Aigle-Dreux-Paris, et desserte de Nonancourt et Verneuil-surAvre). La création d’une gare terminus à L’Aigle pourrait être étudiée dans ce sens.
- Zone Rouennaise
Le développement d’un RER métropolitain autour de Rouen est conditionné à la création de la nouvelle gare rive gauche Saint-Sever. Le RER métropolitain vise à apporter des alternatives aux déplacements routiers, et suppose notamment la création de nouveaux terminus, la réouverture de gares et la création de nouveaux arrêts. Les circulations pourraient ainsi être augmentées sur les axes :
− Rouen-Barentin-Yvetot : avec la création d’une gare terminus à Barentin, voire à Yvetot ; de nouvelles haltes comme Déville-lès-Rouen, Fond du Val…
− Rouen–Elbeuf-Saint-Aubin–Bourgtheroulde-Bernay : avec la création d’un terminus à Bourgtheroulde pour les dessertes de proximité et de nouveaux arrêts en périphérie : Cléon, Quatre-Mares, voire également un terminus à Bernay.
− Réouverture de la section Val-de-Reuil-Louviers et prolongement éventuel vers Evreux par la suite.
− Rouen–Montérolier-Serqueux : avec un terminus à Montérolier-Buchy ou Serqueux.
− Rouen–Clères-Dieppe avec la création d’un terminus à Clères.
Ces aménagements articulés avec les réseaux de transports urbains, via notamment les nouveaux arrêts créés, permettront d’offrir une véritable desserte cadencée sur l’ensemble des axes desservant la métropole Rouennaise, favorisant ainsi le transfert modal de la route vers le ferroviaire.
- Zone Havraise
S’agissant du réseau havrais, le développement d’un réseau en étoile pourrait s’appuyer sur 3 axes :
− Le Havre-Bréauté-Fécamp : avec des travaux permettant d’augmenter la fréquence sur cet axe : voie d’évitement, capacité de la gare de Fécamp.
− Le Havre-Yvetot-Rouen : avec un réaménagement de la gare de Bréauté.
− Le Havre-Bréauté-Port Jérôme sur Seine/Notre Dame de Gravenchon : réouverture de la ligne avec création d’arrêts : Gruchet, Bolbec.
- zone caennaise
Pour le réseau caennais, l’axe Bayeux-Caen-Lisieux, avec création de terminus à Bayeux, doit constituer une première ossature pour développer un réseau métropolitain interconnecté avec les réseaux urbains, avec la création de nouvelles haltes (Mondeville, Carpiquet…). Une branche desservant Saint-Pierre en Auge pourrait être envisagée avec un terminus dans cette même gare.
La réouverture de la ligne Caen–Thury-Harcourt–Clécy, voire, dans un deuxième temps, jusqu’à Flers, pourrait constituer un axe complémentaire à ce réseau, en particulier sur la partie Caen-Thury pour les déplacements domicile-travail, et au-delà jusqu’à Clécy pour les déplacements à caractère touristique. Sur cet axe, des expérimentations avec des systèmes de transports innovants pourraient être envisagées.
Outre le développement de réseaux métropolitains destinés à apporter des alternatives aux mobilités motorisées, en particulier pour les déplacements domicile-travail, le CESER suggère la réouverture de lignes, dans une perspective visant à favoriser l’équilibre des territoires et à améliorer l’offre ferroviaire dans son ensemble, ainsi que l’accès à certains sites touristiques :
- Glos-Monfort–Honfleur. Avec plus de 5 millions de visiteurs par an, la ville d’Honfleur connaît une thrombose routière, notamment en période estivale. Une alternative au mode routier est indispensable. La réouverture de cette ligne apparaît ainsi comme la réponse pertinente.
- Val-de-Reuil – Louviers, et Evreux dans un second temps. La réouverture doit s’opérer en deux phases, avec une première ouverture permettant d’intégrer la zone de Louviers dans le réseau métropolitain Rouennais.
- Bréauté–Notre-Dame-de-Gravenchon, dans le cadre du développement des dessertes métropolitaines de l’agglomération Havraise.
- Caen–Thury-Harcourt–Clécy, voire Flers dans un second temps (cf. RER métropolitain caennais)
- Motteville–Saint-Valéry-en-Caux, en lien avec l’activité liée au nucléaire.
Le renforcement de l’offre suppose également des aménagements, à l’image de la création d’une gare terminus à Vernon afin d’augmenter la capacité de circulation, ou encore via la création de points de croisements ou d’aménagements d’infrastructures : nœud de Granville, points de croisement entre Saint-Lô et Folligny, Abancourt et le Tréport, Bréauté et Fécamp…
Enfin, la Normandie compte plusieurs sites touristiques majeurs, fortement fréquentés, peu desservi par le train (Mont-Saint-Michel ) ou non desservis (Etretat, Honfleur). L’amélioration de la desserte d’Etretat pourrait passer par la mise en place de correspondances systématiques en car via la gare de Bréauté-Beuzeville, et l’accès à Honfleur par la réouverture de la ligne existante (cf. réouvertures de lignes).
L’accès au Mont-Saint-Michel, via l’axe Paris-Granville, nécessite un renforcement de l’offre, et la mise en œuvre de correspondances sur l’axe Caen-Granville-Rennes
Le report modal vers le ferroviaire est pertinent sur le plan de la réduction des émissions de GES, y compris dans les situations où l’usage du diesel perdure. Cependant, la sortie du diesel devra être menée afin de réduire ces émissions, et différentes initiatives et réflexions sont déjà conduites à cet effet (expérimentation de l’agrocarburant B-100 issu de colza sur la ligne Paris-Granville ; réflexion sur l’usage de l’hydrogène, dans une perspective plus lointaine et émergente qui pourrait passer par la mise en place d’une expérimentation…). Pour les lignes dont le potentiel est suffisamment important, le CESER plaide, en priorité, pour leur électrification :
- Serquigny–Elbeuf Saint-Aubin
- Malaunay–Dieppe
- Bréauté–Fécamp
- Saint-Lô–Coutances–Granville
Compte tenu de la très faible part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises en Normandie, et notamment au départ des ports normands de Rouen et du Havre (moins de 10 % du trafic terrestre est assuré par mode ferroviaire), et des importantes nuisances liées au transport routier, il est nécessaire de favoriser un réel report modal vers le ferroviaire – tout comme le fluvial. Les émissions de CO2 du transport de marchandises ont en effet été multipliées par 3,3 entre 1960 et 2017, et représentent environ 10 % des émissions françaises6 . Conformément à l’objectif européen, l’Etat s’est ainsi engagé à doubler la part du fret ferroviaire dans le cadre de la Loi Climat et résilience du 22 août 2021.
L’augmentation des capacités des lignes normandes doit passer par la réalisation des premières sections de la LNPN, la mise à niveau de l’axe Rouen–Le Mans–Tours (« route ferroviaire du blé »), en complément des projets déjà menés ou en cours (Serqueux-Gisors ; lancement de la ligne de ferroutage Cherbourg–Hendaye). Des garanties en matière de fiabilité et de délai de livraison sont également nécessaires afin de favoriser le développement du fret ferroviaire.
Quatre priorités pourraient être privilégiées :
− Libérer des capacités pour le fret sur les lignes normandes (notamment vers l’Ile-de-France, grâce à la LNPN ; Rouen–Le Mans–Tours…) ;
− Poursuite des aménagements permettant un transfert modal rapide dans les zones portuaires ;
− Relance du wagon isolé avec remise à niveau de la chaîne de transport : embranchements particuliers et de zones, opérateurs de proximité, zones de triage. Sur ce point, le maintien des embranchements existants constitue un élément clé. − Développement du ferroutage au départ des ports normands avec création de « landbridge » ferroviaires (Ponts terrestres de transit fret à développer via le mode ferroviaire)
Alors que d’importants investissements ont été menés au cours des dernières années, en particulier par la Région (matériel, maintenance, réseau, etc.), des améliorations restent à apporter afin de densifier l’offre et de disposer de réelles alternatives au « tout voiture » dans les mobilités du quotidien – en lien avec le soutien aux modes actifs et à l’intermodalité. La situation de sous-investissement dans le ferroviaire qu’a connu la Normandie appelle à ce que l’Etat procède à un rattrapage en ce domaine, au nom de l’égalité des territoires. Le CESER insiste sur le nécessaire engagement de l’Etat afin de réaliser les deux premières sections de la LNPN à l’horizon 2035, indispensable afin de permettre à l’ensemble des trains normands de continuer à arriver en gare de Saint-Lazare. Il réaffirme ainsi le besoin prioritaire pour la Normandie, au-delà de la vitesse, de régularité et de fiabilité dans les liaisons ferroviaires. Une politique volontariste doit être engagée dans ce sens par l’Etat avec un objectif clair de rééquilibrage modal en faveur du transport ferroviaire. Au-delà de l’annonce des 100 Md€ devant être consacrés au développement de ce mode d’ici 2040, il convient de trouver de nouvelles sources de financement, via une contribution des modes les plus polluants.